« Bientôt je n’entends plus les halètements des policiers ni les plaintes des sirènes. Que le silence de la lande qui s’élève doucement jusqu’au pied du massif obscur. Les chants du vent à travers les quelques pins formant des bouquets dispersés. »
« Elle est là et ne me dérange plus. Elle me donne la force de grimper les montagnes, d’arpenter les glens sur des kilomètres battus par les vents et la pluie. La force de chasser, de dormir sous les talus, de m’accommoder de la faim, de la soif, de la solitude. »
« Autour de moi la terre est ponctuée de touffes d’herbes jaunies, comme un pelage pelé, noyé par la surabondance de pluie. Ici les ossements d’animaux font surface, renard, tétras, martre, et là une main humaine, le cerceau noirci d’une mâchoire édentée. »
« Mon sommeil était instable, comme si j’avais constamment conscience des ténèbres ambiantes, de leur menace. Je me réveillais souvent hurlante, secouée par l’impression de chuter dans un puits. Ma mère me réconfortait, puis tendait le doigt vers la lampe. La mèche s’embrasait d’elle-même. »
« Au contact de l’île terne et pauvre et sans relief, je me sens revenir dans un endroit familier. Comme si j’avais toujours connu la désolation de Dark Island, comme si c’était elle, ma véritable terre natale. J’y sèmerai le fruit mort de mes entrailles en même temps que celles qui m’ont conçue, reprendrai le cours de l’histoire. Ici pousseront les fleurs stériles de notre lignée. »
« À la longue, alors que ma mémoire se perd, certains évènements reviennent, se rejouent, comme s’ils avaient toujours eu lieu, dans l’avant et dans l’après. Des points de rupture irrésistibles. Tolbooth Wynd est une boucle dans le ruban des années, une brèche dans les contours de ma peau. De notre peau. Un tunnel sans fond dans lequel je me suis engouffrée. »
« Ils m’ont imploré de rester. J’ai pris la fuite. Je m’y suis rendue pour me libérer, pour échapper au temps, à la finitude. Trouver l’immortalité à travers la hantise d’une nuit interminable. J’ai été appelée par cette tentation d’éternité, au péril de toute appartenance. »
« Le bruit des vagues envahit la cuisine, la chambre sent le goémon. Du sable s’accumule encore aux coins des pièces. Je retire mes souliers, dépose mes pieds sur le plancher frais.
Je suis chez moi. »
Photographies : Fanie Demeule
Extraits : Fanie Demeule, Highlands, Québec Amérique, 2021.